de Sara Dolatabadi, Petit Duc Doc, avec la participation de la Fondation Jan Michalski, France, Iran, Suisse, VOSTF, 83 min, 2023 –
- Grand prix du Portrait au FIFA-Festival du Film sur l’Art de Montréal, 2024.
- Prix Droits et Liberté à DOC LISBOA-Festival Internacional de Cinema Documental, 2023
Séance en présence de Omid Hashemi : artiste-chercheur (à l’Université de Paris 8), performeur et documentariste iranien, résidant actuellement en France (sous réserve) suivie d’une discussion autour du film.
De tous les cerveaux de créateurs, celui des écrivains est peut-être celui qui revêt le caractère le plus énigmatique. Dans le film de Sara Dolatabadi, artiste et documentariste iranienne, nous voyons son père, l’immense écrivain, dramaturge, journaliste, acteur, Mahmoud Dowlatabadi (1940-), tracer inlassablement ces caractères arabes dans son cahier. Nous devinons qu’il écrit la nuit. Il réfléchit ou rêvasse longuement, une tasse de thé à la main, dans son jardin, unité de lieu et de temps du film, en même temps que cadre métaphorique de sa pensée.
Toute jeune, Sara savait qu’en cet homme, il y avait deux personnes, le père présent et l’écrivain absent, absorbé par son œuvre. Elle s’est longtemps demandée comment avoir accès au deuxième. Par le film, elle trouve un dispositif aussi astucieux qu’intelligent pour nous faire pénétrer dans l’univers intérieur paternel : elle passe par la relation complice que sa propre fille entretient avec son grand-père. Le film tourné sur plusieurs années trouve son point d’ancrage en cette fillette filmée principalement à l’âge de la « pensée magique » d’avant l’école – quand l’univers des enfants est en contact direct avec le cosmos. Ainsi, les rôles de père, grand-père, écrivain, fille, mère, réalisatrice se superposent et se confondent.
Ce récit émaillé de tendresse pourrait laisser croire à un portrait de famille si ce n’était ce jardin clos situé à Téhéran, en Iran, et ce magnifique écrivain Mahmoud Dowlatabadi qui a souffert dans sa chair la répression politique et enduré deux ans de prison. Simplement inculpé, comme lui ont raconté les policiers du Shah, « parce qu’ils trouvaient ses romans chez tous les gens qu’ils arrêtaient». L’écrivain a toujours refusé de s’exiler et s’est immergé à corps perdu dans l’écriture, son « acte salvateur ». Dans ses romans et nouvelles, traduits en plusieurs langues, pour la plupart interdits en Iran, dont « Cinq contes cruels » (Ed.Gallimard, 2002), « Le Colonel » (Ed.Buchet Chastel, 2011), « L’absence de Soluch » (Ed.Buchet Chastel, 2016), Mahmoud Dowtalatabi dépeint avec cruauté, rudesse et poésie la vie des classes rurales iraniennes les plus démunies, nous offrant une image subtile et violente de l’Iran contemporain.
« Ce qui part du cœur revient au cœur » nous dit un proverbe persan. Avec cette réalisation toute en délicatesse, Sara Dolatabadi nous fait doublement voyager dans les arcanes de la création, celle littéraire du père comme celle cinématographique de la fille.